Elle sait tout

Textes écrits pour êtres dits

Elle sait tout alors c’est tout

Plus personne ne peut dire un mot, il n’y a aucun doute aucun rire qui divise son savoir car elle sait et ça, ça ferme tout, ça ferme, ça la ferme, alors elle continue et ça parle, tout seul, ça parle tout seul, c’est à côté de son corps, pas pris dans le pli du regard ni dans la voix, ni dans l’abysse de la poitrine, ça parle sans s’arrêter sans répit, sans repos, ça fait mal aux oreilles mais moins qu’à l’estomac, celui qui digère mal l’excès de mots, l’excès du mal dans le tissu de mots qui gratte la peau.

Elle sait alors c’est tout, ça ferme tout alors on garde en soi la haine pour ce qui se ferme, la ferme. La ferme, on a envie de dire ça, la ferme, de le crier, de le vomir à ses pieds, de tousser son dedans, d’éclabousser son foie, sa rate, ses intestins, on les jette comme des mots qui ne peuvent pas sortir, atterrés dans la gorge.

Plus on se vide au dedans, plus on rétrécit, on a 10 ans, on ne sait pas encore que quelque chose peut ne pas être clos, qu’on peut sortir et courir vite, tout envoyer balader, nommer la haine, localiser la haine. 

Elle a la haine à l’aine.

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Aux papillons qui se jettent devant moi

Textes écrits pour êtres dits

Il paraît que certains papillons attendent le passage des bagnoles pour s’écraser le plus vite possible, pour crever une bonne fois pour toutes sous le plastique chauffé par le goudron en feu. 

Je pense qu’ils se précipitent, que la vitesse de ces fauves en métal rend leur trépas plus désirable car plus rapide.

On pourrait croire comme ça que c’est un hasard, qu’ils sont là de façon accidentelle, qu’ils étaient simplement là au moment où passait le bolide, affairés à désirer une fleur ou à tromper l’ennemi au soleil, on pourrait le croire, oui.

Et puis, on pourrait se dire conséquemment qu’ils se font attraper, faucher, soulever par la violence du vent cassé par ces engins et qu’ils tombent sous leurs roues comme sous le coup du sort, disparaissant du champ de tout regard.

Et, on pourrait aussi croire que, comme affolés de leur effet, leur fin ne serait que la suite logique d’une rencontre fortuite mais qui devait tout de même arriver, à cette heure précise, là où tout est aveugle, dans cet angle là de la route même, avec cette aile comme ça, rien qu’à demi brisée, d’où persiste le bleu.

Peut-être que leur acte détruit et subsume à lui seul et en cet exact instant, la somme des vastes chaos qui ont mené un jour au fait qu’une larve puisse se métamorphoser en une si grande beauté. Oui, c’est peut être cela qu’ils fracassent, leur beauté, leur insupportable éphémère, leurs milliers de regards sur le sexe des fleurs, même pas le temps de regretter, ça va trop vite. 

Ils doivent bien le sentir ça avec toutes ces conversions qu’ils ont menées, qu’on ne fait que passer après s’être déchiré l’enveloppe derrière la tête en tentant haletant d’oublier de ramper pour s’envoler en l’air. C’est peut être ça qu’ils fracassent et que sapent les sales roues de nos caisses à cimetière.

Mais bon, ça ne semble pas encore assez puisqu’ils survivent, oui, ils survivent à leur beauté et laissent des traces de couleur sur les routes encombrées.

Et tu vois, la trace sur la route là, celle qui brûle mon regard, moi qui ne fais que passer, cette trace multicolore qui brille, qui n’a pas encore renoncé au soleil, c’est leur or, même écrasée leur beauté insiste et reste le vrai immobile, sur le bitume ardent. 

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Quand je te parle

Textes écrits pour êtres dits

Ce que je vais te dire est déjà peut-être écrit quelque part, inscrit dans le sombre d’un livre, coincé dans la bibliothèque d’un lieu dit du monde, insoupçonnable, presque perdu, en tous cas ignoré, resté insu. 

Peut-être aussi au fond que je te l’avais déjà dit mais que je l’ai oublié, que j’ai perdu la page, égaré le moment et même l’intention restée ensevelie dedans. Ce que je vais te dire d’autres y ont déjà pensé, l’ont fait, ou l’ont peut être déjà écrit et l’ont donné à d’autres qui l’auront lu et oublié car nous sommes faits pour oublier, et quand nous croyons inventer, nous ne savons pas encore que nous nous sommes seulement souvenu de ce que nous avions oublié car ça s’était enfoui, ça s’était converti au sein d’une autre forme, rendue méconnaissable. Oui, voilà pourquoi je te le dis, pour que tu te souviennes toi aussi de ce que j’oublierai encore demain inexorablement, comme tous ceux à qui j’aurais été me dire. 

Ce que je vais te dire à peut-être déjà été écrit, mais ceux qui l’auraient déjà entendu ou lu, ceux-là qui nous sont proches, qui nous sont aussi tout à fait lointains, au moment même où je te parle, car ils sont morts ou bien pas encore nés, c’est presque pareil tu sais, oui, ceux-là même dont je te parle, ils n’étaient pas toi et moi. Et moi je te parle maintenant, ici, je te regarde et je te dis ce que j’ai à te dire, et alors cela n’est donc pas encore écrit, lu et relu, oublié, perdu et ça se passe là entre toi et moi et ça n’a jamais existé comme ça et ça n’existera jamais plus de cette façon, avec cette virgule là  à cet endroit et ce mouvement de mon torse qui s’ouvre quand je te parle, avec ce souffle qui me manque et me coupe la poitrine.

Oui, parce que je parle à celui qui viendra après toi. Je parle avec ce qui n’est déjà plus moi. Alors, toi et moi, nous pourrons devenir enfin, tant d’autres choses qui seront oubliées.

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Une rencontre avec ta beauté

Textes écrits pour êtres dits

Te voir soudain et puis te regarder, briser l’indifférence des images, ne pas pouvoir détourner mon regard de ta figure, de ton œil étincelle, de ta bouche ondoyante, encore un peu humide de la brève gorgée d’un verre de vin blanc piqué d’or.

Etre là devant toi enfin et faire semblant de ne plus te voir parce-qu’on-ne-voit-que-toi. 

Etre là, l’air de rien, m’offrir comme ta vision, sauter derrière ton fard, te contempler de derrière ton visage, me loger à ta place un instant, peut-être même, me regarder en face.

Si je me dérobe, c’est que je veux garder ton clair, ton vrai, la sève de ta présence.

Ta lumière délicate éblouit, toi qui ne veut décidément pas me voir, qui me vise et m’évite à la fois, comme on cherche la vérité.

Alors, je ferme les yeux pour que tu disparaisses.

Des fils d’or se tressent dans l’ombre des désirs et flamboient au-dessus de nos têtes, dans ce bistrot bondé jaune et sombre, ils découpent des espaces seulement pour nos reflets et déposent lentement à tes mains des mots comme des baisers sur la peau de la vie. 

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