Malade en été

Aux invisibles passants eux seuls mon cœur voyant

Comme le jour est lourd à cette heure

Devant la maisons close

On l’habille de musique, de sifflements, d’écrans multicolores,

Les machines parlent seules dans le silence sonore

Les oiseaux dorment, eux

Ils savent que l’heure est lourde,

Que les hommes dorment encore

Dans le midi du jour

Ils savent qu’ils dorment seuls

D’un grand sommeil artificiel

Ils savent aussi les remèdes à ce mal

Entrés petit à petit, dissipés sous la langue qui pâtît

Acre, incapable d’articuler

Par milliers ils agissent dans la nuit

La lumière fait douleur à l’œil torve et éteint

Plus rien n’espère revivre

On se languit alors dans l’immobile été

Loading

L’absent

Aux invisibles passants eux seuls mon cœur voyant

L’hiver prend place à mes côtés

Dans les draps

Sur mes lèvres

Il rigole sur mon coeur, expédiant mon ami vers d’autres rêves d’été

Matin de café noir pour raviver le corps

L’hiver est un amant plus brûlant que l’absence.

Il souffle à mon oreille, entoure mon cou de laine

Embrasse mon visage, sauvage et doux de coeur

L’été s’est tu et a gardé mon âme

Tout me parle de lui, tout me rappelle son nom

Les odeurs, les cafés, les lumières, la nuit noire

Il est un manque lointain qui parle à mon cœur

Personne ne répond car je n’appelle que lui

Un moment, je le vois

Grand monsieur grelottant sous son manteau en pleurs.

Il y cachait ses fleurs nourries de pluies de lui

Loading

L’attitré

Aux invisibles passants eux seuls mon cœur voyant

Ce que l’autre n’est plus on l’emporte avec soi

L’être de ma lettre étant mon être, maître, mettez là l’être.

Je fus jadis un autre et je ne suis toujours qu’un ailleurs pour moi-même.

Et savez vous, le bonheur, je le laisse à ceux qui n’ont rien d’autre à espérer.

Transitionaître, ou n’être qu’un peu, un peu entre-pris par ce réel qui m’a-sidère.

Qui me demande d’être là, avec tout ce que je n’ai pas, avec tout ce que je ne sais pas.

Leurre, c’est la question du temps qui m’in-dispose.

Et mon estomac, comme un ulcère incertain.

Mon coeur, le socle de l’univers, son négatif qui s’assoupit sous la caresse.

Puisse la main d’un homme générer l’indicible qu’est l’amour.

L’amour pour celui qui s’absente. Et qui diablement de cet effet, remplit l’espace en se clouant au sol.

Incarné dans la terre.

Il n’y a rien à dire. La parole se suspend. Respirer devient étrangement une lutte.

Au nom du père, tourmentez encore, je vous ris au nez.

La danseuse a épousé le vent, le sol est mon air. 

Tomber ne m’atteint plus.

Je suis ce qui tombe. Alors, je peux danser.

Perdre, c’est pouvoir rejouer.

Loading

Les hommes de poussière

Aux invisibles passants eux seuls mon cœur voyant

Je passais l’autre fois près de vous.

D’un oeil presque incertain, j’aperçus votre corps couché sur la poussière, recouvert d’un infime drapé de sable aurore.

A peine pour réchauffer vos pieds nus d’autres voyages.

Protégé sous les plis, vous dormiez comme un homme.

Quelques denrées cachées vous gardaient dans la vie.

Je vous trompais encore du regard dans un soupir très lâche alors que mes pas me portaient déjà loin.

Ces corps sur la poussière, j’avais pris l’habitude de les frôler au seuil, sans trop m’en approcher, gardant comme une pudeur le remord de l’absence.

Chaque pas qui m’éloignait alourdissait mon coeur mais rassemblait mon âme en notre humanité.

Loading

Vos lèvres

Aux invisibles passants eux seuls mon cœur voyant

Vos lèvres

Un moment.

Pour moi surpris par la grâce.

C’est cette manière toute particulière avec laquelle vos lèvres se fermèrent qui fait de moi votre esclave. 

A jamais.

Pour ne pas perdre cet instant qui ne ressemblera jamais plus à nul autre et qui pourtant a existé pour moi, derrière toute votre lumière.

Lors je vois en perpendiculaire.

Ces lèvres offertes à personne ou bien peut-être qu’à moi seul, à mon regard enceint.

Qui sait, j’aime à le croire.

Or ces lèvres là, je voudrais que d’autres les voient, encore et s’en délectent, à en mordre les leurs d’un plaisir ivre d’or. 

C’est pourquoi je les capture au néant.

C’est pourquoi je vous les donne en serment.

Que leur reflet disparaisse pour toujours ne m’est pas supportable.

Qu’elles restent dans l’invisible des regards est là toute l’épaisse vérité de leur demeure.

Loading

Aux âmes souterraines

Aux invisibles passants eux seuls mon cœur voyant

Mais qu’est ce que ce sarcophage, cette momie liquide et désapprivoisée? 

C’est un homme.

Il n’y a pas d’ombre à l’ouvrage pour qui se courbe à l’être.

N’allez pas croire que je cherche la beauté dans le mot. 

C’est juste une petite place que je veux desserrer. 

Seul, le regard parfois ne peut rien arrimer, il passe et rien n’advient.

Je suis celui qui passe après.

Et tout réapparaît.

Loading

Le passant

Aux invisibles passants eux seuls mon cœur voyant

Tu allais, enjambant l’asphalte, fou de pas vers elle.

Scintillant comme l’oiseau, en corps brinquebalant de spasmes et de cheveux pressés.

Le soleil de fer long, planté comme un épouvantail dans la rue blanche de froid, rendait ton visage pourpre. 

En ta plastique légère, tu tenais ton angoisse sous la gorge, là, tapie tout près du cœur.

Encore, allant vers, étouffant ton squelette lourd de tes gestes étourdis, le regard fixe.

Où vas-tu ? T’attendent-ils quelque part ?Il est des flamands roses que j’ai connus jadis, échassiers merveilleux, leur présence élastique c’est la tienne aujourd’hui, que je cueille comme de l’or tombé de ta poitrine.

Loading

La jeune fille à la douleur

Aux invisibles passants eux seuls mon cœur voyant

Elle  arrive dans un râle qui saisit ma poitrine. Petite, maigre, les yeux enfouis sous un chapeau moderne, avec dessus les marques du capital inscrites comme des bannières obscènes.  Les yeux devinés mais hors regard, enclos sous l’épaisse chevelure brune déposée en muraille sur ses épaules, des morceaux de boucles de fer ornent mal son visage. 

Elle se dépose sans poids dans la cellule inhumée souterraine, le noir y est sonore, la lumière artificielle, elle demande une place dans un cri qui tord encore ma gorge, mon cœur alors est tombé dans un noeud qui demeure enserré. Il se souvient encore de ses mains tremblantes sur les genoux, de la forme de son corps, têtu dans sa clôture, de sa tête inclinée,  baissée sur les trous innombrables de son habit sombre et cloué. Frêle, certainement affamée, elle est partie soudain dans l’odeur ineffable des jours mauvais. Où vas-tu ? Est ce que quelqu’un t’attend là-bas ?

Jeune femme toute vêtue de douleur, tu es passée ce jour là devant moi sans me reconnaître, je garde de toi, incisant l’ingénue que je m’étais permise à demeurer avant de te connaître, la morsure vive du réel.

Loading

La roulade

Aux invisibles passants eux seuls mon cœur voyant

Alors, elle se mit bien à plat sur ses pieds

Le corps découpant l’air géométriquement

Les bras tendus vers le ciel

Au dessus sa tête

Chaque étoile clignait au dessus d’elle comme un oeil

Les bras tendus

Les doigts comme des adresses au clair de lune dessinant des serments tout autour de sa quête

Que l’impatience empourpre et émerveille

Les bras tendus

Le ventre avide

Les yeux rieurs pour l’horizon,

Et prit une grande décision.

Elle ne tomberait plus sur sa tête d’échassier malhabile mais s’essaierait désormais aux roulades pour se rendre à la vie

Et elle irait, elle irait rouler parmi les corps, rouler les coups du sort.

Loading